Il y a 4 ans, en vacances dans la baie de Saint-Brieuc, je regardais la mer baisser dans le vieux port en réfléchissant à l'état de mes finances, qui lui aussi était en baisse. Ça sentait une odeur merveilleuse d'algues et de coquillages.
J'ai été saisie d'une furieuse envie de coques. Tout à coup, je me suis frappé le front. Pourquoi aller dépenser bêtement de l'argent chez le poissonnier alors que je pouvais cueillir le repas familial en bas de chez moi ?
Un petit coup de fil préalable à l'office du tourisme pour vérifier que la pêche à pied était bien autorisée.
La jeune femme qui m'a répondu s'est détournée du combiné pour crier : "Hé, Christiane, à ton avis on a le droit de ramasser des coques dans le vieux port ?"
Sa collègue lui a crié en retour de l'autre bout de la pièce : "Pfff, j'en sais rien moi, mais je ne vois pas pourquoi on n'aurait pas le droit !"
L'aimable voix est revenue vers moi : "Pas de problème madame, vous pouvez y aller.
— Merci ! Juste une autre question : elles sont bien comestibles, rassurez-moi ?"
Même manège : "Hé, Christiane ! On peut les manger, à ton avis ?"
Réponse de Christiane : "Mais qu'est-ce que tu veux que j'en sache, moi ! J'ai jamais essayé !"
Traduction pas contrariante : "Pas de problème, à notre avis vous pouvez tout à fait y aller, madame. Alors bonne pêche !"
Cinq minutes plus tard, je scrutais le sable entre les bateaux, un seau plein d'eau de mer à la main.
J'avoue que le sable n'est pas très attirant comme cela à première vue, il est un peu vaseux, mais je me suis rassurée en songeant que la marée haute nettoyait périodiquement les lieux.
Figurez-vous qu'en une minute chrono, mon seau était plein.
Incroyablement féconde, cette pêche ! Je jubilais. Plein de petits trous, il suffisait d'enfoncer le doigt pour trouver une coque.
Un apollon bronzé est passé près de moi pour se rendre à son bateau.
"Qu'est-ce que vous ramassez ? Des coques ? Au secours, vous allez manger ça ? Ben dites-moi, vous êtes courageuse !
— Pourquoi ? Regardez comme elles sont belles !
— Peut-être mais je ne m'y risquerais pas, moi.
— Allons donc ! Vous ne voulez pas essayer ? J'ai pris tout ça en une minute, tenez je vous les donne si vous voulez."
Il a pouffé de rire et m'a quittée sur un : "Non merci, mais bonne chance !" qui en aurait refroidi d'autres.
A la maison, j'ai montré ma pêche aux deux personnes qui se trouvaient là : "Regardez ! C'est pour vous, un splendide déjeuner de coques du vieux port !
— Ah non, j'en veux pas, je déteste ces trucs-là, ça me dégoûte ! s'est exclamée ma fille.
— Si ça vient du vieux port, alors pas pour moi merci, a poliment décliné son père.
Moi, un tout petit peu vexée mais n'en laissant rien paraître :
— Ça m'est égal. Tant pis pour vous, je mangerai tout.
— Eh bien, bonne chance !" m'a-t-on dit pour la seconde fois de la journée.
Je les ai fait dégorger deux heures dans de l'eau froide salée puis je les ai passées à la casserole avec un peu de vin blanc, d'oignon émincé, de persil et de poivre.
J'ai entendu un soucieux "mais tu vas vraiment les manger, tu es sûre ?", que j'ai évidemment ignoré. Pas question de me laisser couper l'appétit ni gâcher le plaisir.
Difficile quand même de bien profiter de mes coques au son des "mais t'es folle, ça peut être dangereux, tu ne sais pas ce qui peut traîner dans le port !", alors j'ai filé les manger dans la cuisine pour avoir la paix.
De toute façon, j'avais obtenu l'aval des spécialistes de l'office du tourisme : j'avais la conscience tranquille. Et puis mes coques sentaient trop bon pour que je les jette à la poubelle.
Voici. Je vous présente mon déjeuner de coques de l'été 2004. Il y en avait assez pour trois personnes mais j'ai tout fini :
Jugez par vous-même : elles ont l'air normal, on dirait tout à fait qu'elles viennent de l'étal d'un professionnel, non ?
Pour être honnête, j'ai eu un peu de mal à finir, aux dernières je me suis forcée.
Et un quart d'heure plus tard, j'avais carrément mal au coeur. Une nausée vraiment atroce.
"Ho là, maman, tu n'as pas l'air bien.
J'ai renversé la tête en arrière, les yeux révulsés :
— C'est de ta faute ! Si tu en avais mangé aussi, j'irais mieux.
Je suis sortie prendre l'air pour lutter contre la nausée. La mer remontait lentement.
Ma fille est revenue babiller gaiement à mon oreille. J'ai protesté :
— Par pitié tais-toi, j'ai encore plus mal au coeur quand on me parle.
Une vive exclamation m'a répondu :
— Han, maman, regarde ça !!!"
Mon Dieu, quelle horreur. Un gigantesque chien noir était en train de s'accroupir entre deux bateaux pour faire sa grosse commission à l'endroit précis où j'avais récolté les coques de mon repas. J'ai cru m'évanouir.
A cause des nausées je n'ai pas fermé l'oeil cette nuit-là, et j'ai encore eu mal au coeur toute la journée du lendemain.
Je n'en ai plus repêché les années suivantes. Sauf cet été : j'ai décidé d'en prendre quelques-unes pour faire des photos pour cet article.
Et là, double coup dur !
Premièrement, à ma grande surprise, j'ai fait chou blanc. Il n'y avait que quelques bébés coques que j'ai vite renfouis dans le sable :
En dix minutes de recherches assidues, je n'ai pris qu'une unique coque adulte. Bien fermée, bien belle :
Mais un peu bizarre à l'ouverture, m'a-t-il semblé :
La pointe jaune n'est pas pointue, c'est peut-être normal chez certaines mais je ne me souviens plus bien, vu que je n'ai pas remangé de coques depuis 2004.
Je n'ai pas hésité une seconde : poubelle.
Non pas à cause de son aspect, mais à cause du second coup dur que j'ai reçu en farfouillant dans le sable du port pour essayer de trouver d'autres coques.
Non seulement les chiens leur crottent dessus, mais en plus elles filtrent des hydrocarbures ! C'est là que j'ai réalisé que tous les bateaux étaient équipés d'un moteur et s'en servaient pour quitter le port.
La pêche à pied, on ne m'y reprendra plus ! J'ai renoncé à nourrir ma famille par moi-même, je m'en remets désormais au poissonnier. Mais rien n'y fait : dans un coin de ma tête, le fantasme du pêcheur autosubsistant reste toujours aussi vif. ;-)
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Article initialement publié sur le site de La Fureur des Vivres, le 28 août 2008. Notre thème du mois d'août portait sur "Les hauts et les bas de la cuisine des vacances".
(Lire directement sur le site de la "Fureur des Vivres" pour se reporter aux commentaires d'origine.)
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Pauvre Caroline,
Le mazout, passe encore, mais le caca de chien, waou ...
Je crois que ça m'a coupé l'appétit cette histoire.
Cordialement
Aude