L'os à moelle est mon péché.
Au point que je ne conçois évidemment pas un pot-au-feu sans os à moelle.
Alors que l'inverse, si !
Il y a au moins une raison de remercier le Ciel de l'existence des supermarchés : c'est le seul lieu où l'on peut se procurer des os à moelle en quantité respectable.
Deux ou trois os pour le pot-au-feu d'une famille de six personnes, ce n'est pas ce que j'appelle une quantité respectable ! Or, sauf cas particulier, vous aurez bien du mal à en espérer davantage d'un boucher de quartier. Et pas mieux chez les bouchers du marché — qui pour le coût de leur essence et de leur emplacement ont plutôt intérêt à transporter et vendre des produits plus chers, comprenons-les.
C'était encore pire quand j'étais jeune, car alors les os à moelle étaient non pas vendus mais donnés par le boucher : c'était la cerise sur le gâteau si vous voulez, le petit geste commercial réservé aux meilleures clientes.
Nous étions six à table quand je vivais chez mes parents, et tout le monde raffolait des os à moelle. Ma mère disait : "Je suis désolée, le boucher ne m'en a donné que trois" ou, dans les bons jours : "C'est merveilleux, aujourd'hui le boucher m'en a donné quatre !" (dont l'un était en général dépourvu de cavité et parfaitement stérile).
Ça me rendait folle : notre approvisionnement en ce mets d'exception dépendait tout simplement du bon vouloir du boucher et tout le monde trouvait cela normal, c'était la "loi" du commerce traditionnel. Tandis que je pestais contre la radinerie des bouchers et les stupides lois du commerce, mon père faisait la police de l'os à moelle : il déposait un peu de moelle sur des petits toasts qu'il nous distribuait, un petit toast pour chacun, soi-disant calibrés de façon à éviter les jalousies mais il avait peut-être un problème de lunettes puisqu'à l'arrivée tout le monde était mécontent.
Au moins, aujourd'hui, quand je vais au supermarché, c'est moi qui choisis si j'achète ou non. Et si je veux quinze os pour moi toute seule, je peux les avoir.
Après tant de frustrations, rien d'étonnant à ce que j'aie eu ces dernières années quelques épisodes gloutons à base d'os à moelle.
Regardez ces os, que j'ai achetés l'année dernière dans ma grande surface habituelle : seulement 3,05 € le kilo !
(1 kg = environ 6 os moyens, soit largement de quoi rendre malade un attablé solitaire, je vous le certifie.)
Ce n'est pas à l'état cru qu'ils sont les plus appétissants, convenons-en. Cuisons-les donc !
Pour moi, rien ne vaut un os à moelle longuement mijoté dans un pot-au-feu. Plus le bouillon est riche en goût, plus il comporte de légumes, de viandes, plus la cuisson est longue, et plus je trouve ça délicieux.
Quand je n'ai pas de légumes ni de viande, c'est-à-dire quand je fais cuire des os pour les manger tout seuls, je fais bouillir de l'eau avec un bouillon cube, et j'aromatise avec deux gousses d'ail, des grains de poivre, 2 feuilles de laurier et du gros sel.
La difficulté numéro un, pour moi, c'est d'éviter que la moelle soit écoeurante.
C'est pourquoi, au sujet de la durée de cuisson, je suis très souvent en désaccord avec les prescriptions que j'entends ici ou là (20 à 30 minutes, mais il n'est pas rare qu'on conseille 15 à 20 minutes, parfois même moins).
Pour moi, 30 minutes sont le strict minimum ! Et j'aime encore mieux des cuissons d'une heure, voire davantage.
Aucun souci : contrairement à ce que veut la légende, les os ne se vident pas ! En tout cas, pas chez moi. Probablement parce que je ne remue pas la marmite en tous sens comme une forcenée pendant que ça cuit ?
Sinon, voici les conseils les plus fréquents pour éviter que vos os ne se vident : emballer les os dans de la gaze avant la cuisson, ou enfoncer quelques grains de gros sel dans la moelle de chaque côté des os crus, ou encore couper deux rondelles d'une grosse carotte pour obturer l'os et ficeler le tout avant de le plonger dans le bouillon (l'histoire ne dit pas si ça tient encore quand les carottes sont cuites et à mon avis ça change le goût de la moelle, mais bon).
Moi, mon conseil serait de poser tout bêtement vos os dans la casserole, d'attendre qu'ils soient cuits et de ne pas vous mettre martel en tête.
Grattez bien, surtout, pour ne pas en laisser une miette !
Parfois, dans les plus petits os, la moelle s'enlève d'un seul bloc (ci-dessous). A condition qu'ils soient très chauds et qu'ils aient cuit dans un bouillon très aromatisé, j'aime bien la sensation de plénitude que ça donne.
Mais quand même, je l'écrase un peu. Avaler ça tout rond, ça peut dégoûter.
Toast exquis salé au moulin...
(Mmmm... plutôt à réserver aux amateurs, je dirais !)
Celui-ci, je l'ai cuit au four, pour essayer. Une demi-heure à 200°C.
Je sais qu'il y a des
Vous voyez ce suintement ?
C'est surtout l'épaisseur de la consistance qui m'a dérangée, aïe.
Parce qu'avec la cuisson au four, vous gardez tout : la moelle reste intacte, avec ses 600 kilocalories de "presque que du gras" aux 100 grammes ! La graisse reste dans l'os, alors qu'avec le bouillon, la moitié du gras fuit dans la casserole.
Moi, honnêtement, je préfère quand c'est un peu dégraissé. Cuit au four, ça a une matière trop présente, vraiment trop dense, et un goût trop... Trop quoi ? je ne sais pas. Mais pour moi, trop.
J'avais goûté ça au restau (chez Françoise, cuisine classique sous l'Aérogare des Invalides) et je m'en suis refait chez moi parce que j'avais adoré.
Le mien n'était pas aussi réussi mais déjà superbe (pas esthétiquement, pour le goût). Eux, ils prennent du sandre, moi je n'avais qu'un filet de cabillaud, surgelé en plus. Je réessaierai avec du sandre frais.
La moelle et la sauce au vin rouge : pas de problème, accord classique.
Mais à ce propos, avertissement !!! Sachez que s'il vous prend l'envie de mixer votre sauce au vin rouge avec un peu de moelle brûlante pour la rendre plus onctueuse (j'ai essayé ça avec de la viande en pensant que ce serait intéressant), côté onctuosité ça marche effectivement, mais attendez-vous à ce que le goût soit complètement dénaturé.
J'ai trouvé que ça passait mal, et j'en ai retenu que la moelle doit être bien séparée du reste pour que ce soit bon.
Pour moi, ce qui fait le succès total de ce plat, c'est la purée de céleri rave et pomme de terre. L'accord est parfait, et il fallait vraiment que j'en mange hors de chez moi pour avoir seulement l'idée d'en faire à la maison. C'est fondant et savoureux, ça vibre, j'adore et j'en referai.
Difficile de trouver mieux que cette purée avec une sauce au vin rouge.
Voici ce que j'ai préparé pour notre dîner d'hier soir :
Ce sont des tranches de jarret de veau, mijotées dans un bouillon très allongé de crémant de Loire et parfumé au chili. Avec une touche d'ail et un peu d'oignon et, ajoutées à la fin, des carottes, des courgettes et des olives vertes. On a dévoré ça avec de la semoule de couscous, c'était sublime.
Quelqu'un qui n'a jamais mangé de moelle de veau ne peut pas dire de façon éclairée qu'il n'aime pas la moelle. C'est le test ultime, tout simplement parce que c'est la moelle la plus délicate, la plus délicieuse qui existe, elle a un goût merveilleux — et pas du tout le côté facilement écoeurant de la moelle de boeuf.
Et comme je suis seule à aimer la moelle ici... c'est moi qui ai tout eu hier soir. Aaah, quelle belle revanche sur le passé !
J'ai soupiré avec satisfaction, et tiens, j'ai réalisé que mes frères et soeur se sont choisi tout comme moi des conjoint(e)s qui n'aiment pas la moelle et la leur laissent systématiquement ! C'est quand même curieux, quand on y songe.
Mais de simples coïncidences, pensons-nous.
;-)
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Article initialement publié (le 17 octobre 2008) dans la Fureur des Vivres, revue culinaire en ligne. (S'y reporter pour lire les commentaires.)
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Et bien, je suis comme vous. Ce soir, je fais un pot-au-feu pour des amis, mais mon vrai plaisir, c'est les os à moêlle ! Il a fallu que je les commande...J'en ai commandé 10 pour 5. Ns sommes loin de l'histoire que vous racontiez avec vos parents, quand les bouchers faisaient "un petit cadeau" qui faisait tellement plaisir. Mon mari m'a invité au Pré Catelan,, restaurant chic de Paris. Des plats sophistiqués, des salades exceptionnelles, des poisson,s très fins,etc... J'ai demandé : des os à moêlle ! Bonne soirée . Pas trop froid ? Tina
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