Tout le monde le sait — même moi qui n'ai pas vu le film —, l'actrice principale du film de Dany Boon "Bienvenue chez les Ch'tis" est une baraque à frites.
On ne parle que d'elle, on la montre, on la célèbre, on refait son histoire, il s'en crée chaque jour en France. Je vous prédis qu'elle aura le prochain César.
Et tout cela me remet mon vieux rêve en tête.
A raison d'une faculté et deux lycées à proximité immédiate, la clientèle potentielle est absolument affolante. L'offre de restauration du quartier, quant à elle, se résume à quelques sandwicheries, deux boulangeries et deux ou trois cafés, ce qui est très loin de suffire à nourrir tout le monde.
Et le pire de tout : zéro friterie dans le lot !
Un beau jour, il y a eu rue Vavin une pizzeria en faillite dont le bail était à reprendre. Le marché était là, j'avais la passion de la frite, j'aurais pu trouver un financement.
J'ai vibré d'envie. Mieux qu'une baraque : créer un véritable temple de la frite, c'était possible !
Mais le métier de commerçant ne s'improvise pas, sans compter la quantité de paperasse et la complexité du processus de création d'entreprise. Pas téméraire, je me suis découragée.
Faisons abstraction des contraintes de tous ordres, concentrons-nous sur le projet même et sur ce qui rendrait sa réussite inéluctable, à mon avis.
1) On choisit les meilleures pommes de terre. On fait des tests de dégustation, ça c'est vraiment l'enjeu crucial. En Belgique, il paraît qu'on utilise des Bintje. En France, il semblerait que les chefs préfèrent l'Agria ou la Charlotte. Pour ma part, c'est cette dernière que j'aime le plus, mais répétons-le, c'est à tester très sérieusement. (Celle que je fuirais à tous les coups, c'est la Manon : la soi-disant "spéciale frites" vendues dans tous les supermarchés français, que je trouve cartonneuse et fade.)
2) On les épluche et on les coupe à la main. Ce sont des étudiants qui le font. Deux, trois, quatre étudiants dès le petit matin, je ne sais pas combien, mais l'équipe tourne pour éviter la lassitude : l'intérêt, c'est qu'ils trouvent un revenu à quelques mètres à peine de la fac tout en gardant l'essentiel de leur journée pour étudier, et il faut qu'ils aient du plaisir à venir travailler. Ils écoutent de la musique, ils discutent, et pendant ce temps-là les mains s'activent.
Evidemment, il faut faire vite, on n'est pas là en touriste. Mais sans me vanter, personne n'épluche les patates aussi vite que moi. Je leur apprendrai. Deux instruments : un épluche-légumes et un couteau, chacun servant à un type d'opération bien distinct.
Etape 1 : l'épluche-légumes traite la longueur de la pomme de terre, sans temps mort, sans accrocher, et on enchaîne les patates les unes après les autres, ça va à toute vitesse.
Etape 2 : on prend le couteau pour étêter toutes les pommes de terre partiellement épluchées. Sur la Charlotte, ma préférée, les yeux et imperfections sont localisés aux extrémités, rien ne vaut le couteau pour trancher ça prestement.
C'est fou la quantité de patates qu'on peut arriver à éplucher en un quart d'heure : il suffit que les tâches soient rationnellement séparées et les outils convenablement affectés.
3) On les sèche à l'air tiède pulsé. Aspect santé à contrôler médicalement au préalable, mais en tout cas, pour avoir personnellement tout essayé (rincer, blanchir, juste essuyer, ou sécher les frites crues au four ventilé), je prétends que la meilleure, la plus savoureuse, la plus délicieusement charnue et croustillante de toutes les frites, c'est la frite qui n'a connu aucun contact avec l'eau, ni même avec le torchon. Juste séchée à l'air tiède-chaud – rapidement si possible, sinon ça noircit un peu sur les bords.
4) On propose plusieurs formes de frites. A tester là encore : on cherche les meilleures découpes pour faire les formes les plus exquises. J'en ai essayé plein, mais il en reste tant d'autres à découvrir !
Quelques exemples qui me plaisent :
• des fagots de "petit calibre", c'est-à-dire de petites frites assez fines et régulières (une découverte que j'ai faite au Nemrod, à l'angle de la rue Saint-Placide et de la rue du Cherche-Midi à Paris : moi qui ne jurais auparavant que par les frites tarabiscotées et redoutais l'uniformité, je les ai trouvées sublimes. Inoubliables. Je crois bien que c'étaient des Charlotte. Ci-dessous, j'ai fait moitié langues de chat, moitié petits bâtonnets.)
• des épaisses et évidées (d'un centimètre de large, à la belge, mais dont on retire le centre par une petite découpe en V pour qu'elles soient plus croustillantes – celles-là, je les trouve géniales pour retenir la sauce).:
• des crantées à la roulette :
• des serpentins :
• des chiffres pour apprendre le calcul aux jeunes :
(... et pensez donc que l'entourage est aussi bon que les chiffres eux-mêmes !)
• des brochettes :
... ou même, coupées en fleurettes les brochettes, c'est plus léger et plus croustillant :
... voire des brochettes incluant des légumes autres que la pomme de terre :
5) On propose un beau choix de sauces maison.
6) Evidemment, l'huile et l'hygiène sont d'une qualité irréprochable.
7) On réfléchit bien au packaging ! Jolis cornets, barquettes à casiers pour panacher les formes de frites et les sauces si le client le désire, etc.
8) On propose des accompagnements protéinés de bonne qualité, ça c'est à étudier de près. Imaginer des petites choses faciles à manger, intéressantes sur le plan nutritionnel, faciles à préparer, et pas trop coûteuses (mais surtout, quelque chose de vraiment bien : du bon produit de bonne provenance).
Bon évidemment, il faut tout affiner et tout discuter, je me doute que tout n'est pas réalisable en tout point de cette façon-là, mais pour moi, une friterie sublime ressemblerait à quelque chose comme ça.
Je garde ce rêve dans un petit coin de ma tête... Hé, qui sait ?
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Article initialement publié (le 22 mai 2008) dans la Fureur des Vivres, revue culinaire en ligne. S'y reporter pour lire les commentaires originaux : Mon rêve de baraque à frites, Fureur des Vivres. Dont un commentaire du propriétaire de la baraque à frites du film "Les Ch'tis" ! :-)
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L'article est super (l'idéal à mon avis ce serait frites et soupes, mais bon). Mais maintenant, ce dont je rêve, c'est d'une opération "test de sauces à frites maison" sur ton blog...