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J'adore les coquilles Saint-Jacques. Mais malheureusement, je n'adore aucune des manières habituelles de les accommoder — je les apprécie, tout au plus.
Rien ne m'intéresse davantage, depuis quelque temps, que de trouver LA manière de préparer les coquilles Saint-Jacques pour mieux les savourer.
• Problème numéro un : leur assaisonnement.
• Problème numéro deux : leur cuisson.
• Mais... il reste encore après cela un problème que je ne sais pas nommer, qui se sent et se décrit très bien mais ne porte pas de nom. Une énigme que je résumerais ainsi : même résolus les deux précédents problèmes, comment trouver le moyen de jouir plus encore, plus totalement, plus inoubliablement de ce produit d'exception ? J'ai toujours soupçonné que je n'en jouissais pas assez, ressenti sans plus de précision qu'on pouvait mieux faire. En fait, je déplorais le manque d'efforts généralement déployés pour sublimer une coquille Saint-Jacques. Ah voilà, c'est ça, j'ai trouvé le nom du troisième problème : la sublimation.
[edit : 10 bonnes années après l'écriture de cet article, je ne vois, n'entends et ne lis que ce mot de "sublimer" dans tous les médias et sur tous les blogs, attention à l'indigestion du mot qui ne veut plus rien dire.]
Du surcuit au "consensus mou"...
Pardon aux personnes qui le sauraient déjà pour m'avoir déjà lue : je vais me répéter un peu.
• Pour moi, jusqu'à ce que je rencontre Jacques (dépourvu de coquille et pas encore saint, mais devenu mon simple mortel préféré), la coquille Saint-Jacques était l'une des meilleures recettes de ma maman : dans mes souvenirs, je vois une précieuse noix blanche longuement tannée dans une poêle beurrée, puis aspergée d'une crème fraîche qui rapidement virait au caramel : tu parles, avec au moins 5 mm de sucs de cuisson dans la poêle ! ;-)
Pour la texture, question délicatesse tu repasseras (pardon maman ! mais c'était une texture très agréable au demeurant, quoique évoquant plus les pneus d'un bus RATP que le raffinement d'un mollusque marin de toute première fraîcheur)...
Mais alors pour le goût !... C'était absolument dingue d'exquisité.
C'est en me régalant de ces fermes petites gommes dorées à la crème que je suis tombée amoureuse de la coquille Saint-Jacques.
• Puis j'ai rencontré Jacques, Jacques que nous appellerons Jacquot dans ce qui suit afin de le distinguer des produits comestibles qui m'occupent aujourd'hui.
Jacquot cuisine admirablement. Nous avons chacun notre cuisine et c'est tant mieux, car mon désordre me fatigue assez sans qu'on y ajoute les dégueulis multicolores qui inondent les murs et le sol au cours des terrifiantes activités culinaires de Jacquot. Il paraît que salir la cuisine est un trait commun chez les mâles de l'espèce humaine, mais Robuchon et toutes les bonnes écoles hôtelières luttent contre ! Courage mes amies, nous connaîtrons peut-être un jour l'homme organisé-hygiéniste que nous adorerions, en plus de l'homme cuisinier qui sait si bien nous séduire !...
Jacquot m'a révélé au cours d'une déjà ancienne session de destruction de sa cuisine le principe de la cuisson délicate de la coquille Saint-Jacques. Précisons que le cru et le mi-cuit n'étaient pas encore en vogue alors. Même Le.Divellec (encore un Jacques, dites !), dont le restaurant de poissons était le plus réputé de Paris à l'époque, servait encore du "bien cuit" : à sa table on ne mâchait et avalait le poisson qu'après l'avoir consciencieusement enrobé d'une couche de sauce.
Voici désormais le type de cuisson sur lequel s'accordent à peu près tous les chefs contemporains :
Légèrement doré en surface pour le plaisir de l'oeil et aussi pour le "minimum syndical" de saveur (eh oui, pour la saveur, rien ne pourra jamais remplacer les sucs !...).
... et quasi cru à l'intérieur :
OK.
C'est bon, c'est très bon, c'est d'une grande finesse, mais je ne dirais pas que c'est sublime.
On refait ici, pour voir ?
J'ai pris ces coquilles surgelées de chez Picard. Pourquoi pas des fraîches ?... Question de commodité d'approvisionnement avant tout (je ne suis pas libre les jours de marché, et pas encore assez riche pour aller faire une razzia à la poissonnerie du Dôme). Mais aussi, comme le reconnaissent de plus en plus volontiers les grands chefs (et encore récemment, dans un numéro de Elle, Hélène Darroze), pour le niveau de qualité exceptionnel des coquilles Saint-Jacques de Picard.
Produits de qualité, elles le sont, sans aucun doute : grandes et belles, sans corail, d'une chair très fine, et elles ne rendent pas d'eau à la cuisson. Elles sont chères, c'est vrai, mais il est vrai aussi que ce n'est pas du tout-venant.
Alors en attendant que la saison batte son plein et que les coquilles du marché soient vraiment ultra fraîches...
Hyper important pour toute recette de coquilles Saint-Jacques en général, mais absolument indispensable pour cette recette-ci : enlever le nerf.
Bien : elles sont décongelées, essuyées et prêtes à être assaisonnées.
Un assaisonnement "spécial coquilles Saint-Jacques"
D'après tout ce que je vois partout et tout ce que je lis : un peu de fleur de sel et un peu de poivre du moulin, tel est l'assaisonnement classique de la cuisine des mollusques.
Certes, cela a l'avantage d'être simple, mais contrairement à ce qui se dit, je trouve que ça a l'inconvénient de dénaturer le goût de la chair. En fait, la chair elle-même reste fade : sel et poivre ne font qu'ajouter un goût nouveau qui, en tout cas selon mes papilles à moi, n'est pas de nature à exalter la saveur typique du produit. Donc, en matière de saveur, bilan un peu frustrant.
Les choses s'animent déjà un peu quand on ajoute un trait d'huile d'olive. Mais tout le monde n'aime pas et en plus, même si l'alliance se fait bien, là quand même, il faut reconnaître qu'on dénature ferme !
J'ai trouvé il y a quelque temps l'assaisonnement qui me convient parfaitement. Il est particulièrement génial pour les coquilles Saint-Jacques, mais aussi pour les poissons blancs.
C'est un mélange, dont je vous ai déjà parlé à propos du millefeuille de coquilles Saint-Jacques que j'avais fait pour la première édition du Blog Appétit.
Ce mélange contient :
• du "magic mushrooms" (c'est un mélange tout préparé vendu en moulin – cf. ci-dessous).
Si on n'en a pas, c'est très simple à faire soi-même. En voici la composition : cristaux de sel de mer, champignons déshydratés (chanterelles et cèpes) grossièrement hachés au couteau, oignon et persil déshydratés hachés.
• du fumet de poisson déshydraté (pas trop : environ un tiers de l'ensemble).
• éventuellement, pour corser un peu et ajuster à son propre goût, encore un peu de cristaux de sel et des grains de poivre.
On mélange bien tout cela et on remet le tout dans le moulin. On a ainsi en permanence sous la main un moulin d'assaisonnement tout prêt.
Mes utilisations préférées de ce moulin :
– dans une cuisson au beurre pour la coquille Saint-Jacques,
– dans une cuisson à l'huile d'olive pour les poissons blancs.
On en parsème un peu les deux faces de la chose avant la cuisson et c'est tout !
Grâce au fumet déshydraté, le mélange exalte divinement les saveurs des coquilles Saint-Jacques : il aiguise leur goût marin.
Même si vous procédez à une cuisson ultra courte, il permet la constitution de sucs de cuisson qui sont fidèles au goût réel du produit, qui appartiennent à la même famille de goût. Du coup, on ressent une véritable concentration de saveur et non pas, comme lorsqu'on moud simplement du sel et du poivre en fin de cuisson, l'ajout d'une saveur qui masquerait simplement la fadeur de la chair.
Cuisson et préparation des éventails : l'étape de la sublimation...
Plus la coquille Saint-Jacques est belle, plus, paradoxalement, elle pose un problème :
• L'intérieur reste fade car il ne fait que recevoir la chaleur, il ne grille pas et ne reçoit aucun assaisonnement. Plus la noix est épaisse, plus le problème se pose, car, évidemment, ce n'est pas par un excès d'assaisonnement en surface qu'on peut résoudre la fadeur du centre.
• De plus, la texture peut sembler morne, voire légèrement écoeurante, à cause de son uniformité (c'est moins fibreux et résistant qu'une viande, ça peut déranger certains palais facilement dégoûtés).
J'ai essayé des tas de solutions. Certaines méritent de faire l'objet d'un ou deux prochains billets. Mais voici celle qui m'a donné le plus de satisfaction : si simple à faire qu'on se croirait en travaux manuels de maternelle, et absolument délicieuse. Et jolie à l'arrivée, ce qui ne gâche rien.
Vous prenez la noix et la coupez en lamelles de haut en bas sans aller jusqu'au bout pour que les lamelles restent attachées ensemble :
On peut couper en autant de lamelles qu'on veut.
A mon goût, le résultat esthétique est optimal avec quatre lamelles... et par chance, c'est également ainsi qu'on obtient le meilleur résultat en termes de texture et de saveur : pour moi, c'est l'équilibre parfait.
Il faut écarter les lamelles, cela simplifie la suite :
Avec le plat de la lame du couteau, une légère pression suffit à coucher les lamelles :
Impec !
Si vous n'écartez pas les lamelles auparavant, vous devrez appuyer plus fort et rectifier les positions respectives, ce qui n'est pas un drame certes, mais autant bien faire du premier coup :
Je prends des piques à cocktail. Les piques classiques sont les plus courtes, mais si on a la chance d'en trouver de plus grandes, pour les grosses coquilles c'est très bien.
Je sais que celles-ci viennent toutes de chez Inno-Monoprix, mais je n'arrive plus à trouver les plus grandes, j'ai l'impression qu'ils n'en font plus. Celles-ci sont mes dernières :
Allez hop, on étale et on embroche. Ça va très vite :
Ça irait aussi avec des piques normales, mais on voit tout de suite que ce serait moins commode à saisir. Tant pis, si je ne retrouve pas les piques les plus grandes, j'essaierai avec des noix plus petites. Ou je me fabriquerai des brochettes adaptées.
On assaisonne les deux faces, d'un petit tour de notre moulin spécial :
Ici, j'en ai peut-être mis un peu trop :
Là, c'est bien :
Je laisse chauffer la poêle à vide. Quand elle est bien chaude, j'ajoute le beurre :
Et je mets mes éventails. Tiens, ceux-ci ne sont pas assaisonnés on dirait. Parfois distraite...
On les retourne au bout de 15 secondes maxi.
Réellement, pas plus.
Et vous voyez, certaines sont déjà un peu trop brunes.
On cuit l'autre côté et on dépose sur une assiette (si possible chaude) :
L'extérieur est un tout petit peu trop coloré à mon goût. Et pourtant, il n'y a pas de surcuisson. L'intérieur est génial : chaud mais tout tendre. On a des superpositions exquises de surface dorée + goût concentré, puis chair douce + goût ténu. Vraiment vraiment pas mal.
Mais j'écoute quand même mon intuition : je vais essayer une cuisson moins brutale, dans une poêle préchauffée puis définitivement retirée du feu, quitte à allonger le temps de cuisson de quelques secondes :
Je sais, ma plaque est dégueu, je ne l'ai pas nettoyée depuis le mois de juillet.
Mais mon intuition était bonne :
C'est incontestablement plus délicat, et tout aussi chaud :
Je n'arrive pas à trouver la photo qui montrerait le respect de la chair du centre, qui reste en fait crue, même si c'est sur une faible épaisseur :
Bon je n'y arrive pas. Même là, on dirait que c'est plus cuit que ça ne l'est en réalité. J'essaierai d'ouvrir complètement les lamelles pour prendre une vraie bonne photo de l'intérieur la prochaine fois.
Le temps de cuisson est si court que regardez, même hors du feu, le beurre frémit jusqu'à l'ultime étape de la cuisson des éventails, en fait jusqu'à ce qu'on les retire de la poêle :
Alors, est-ce que ce n'est pas de la preuve, ça ? ;-)
Version "6 ou 7 lamelles" :
Moins facile à équilibrer visuellement, mais très bon :
OK, je me sens prête à affronter le (terrible) jugement de Jacquot.
Non sérieusement, c'est vrai, pour les coquilles Saint-Jacques, Jacquot est terrible : il ne supporte ni la surcuisson, ni la dénaturation, ni la fadeur, ni la tiédeur à coeur. Pfff, accroche-toi pour lui plaire, avec ça !
Rien de plus facile que de s'organiser pour en faire plein à la fois, ça c'est aussi un truc très appréciable si l'on reçoit.
Chez moi, je pourrais en faire 40 ou 50 à la fois, aussi facilement que 3 ou 4 steaks. Un jour de fête, why not ?... (n'oublions pas le prix de la matière première).
Grand avantage : ça se prépare à l'avance. Et au moment où on les veut, c'est juste une minute à passer dans la cuisine, pas plus.
Pour peu qu'on présente ça de façon un peu élégante (et pas simplement en vrac comme je l'ai fait ci-dessous pour ne pas influencer Jacquot avec des fla-fla exagérés), ça dépote vraiment. Cela fait une magnifique entrée, encore que je verrais plutôt ce délice en plat principal. Mmmm... et avec des frites, là je meurs.
Une minute, disais-je. Et c'est fait :
Je les dépose sur une assiette chaude et file les présenter au verdict :
Le Jacquot goûte la Jacques.
"Mmmm, eh pas mal, dis !
— Ça te plaît ?
— Mmmm, c'est bon."
"Et la texture ?
— Super."
"Et l'assaisonnement ?
— Bien !"
"Et la température ?
— Bien chaud, très bon."
Ça vous paraît peut-être faiblard question superlatifs, mais il y a le ton qui compte ! Donc là, je sais que ça veut dire 21/20. Youpiiiii !
Voilà, je vais pouvoir abandonner le "Jacquot" maintenant pour reparler de mon Jacques, qui n'est ni saint ni mollusque.
(Hum.. mais alors pourquoi diable, voyant ses deux bras et ses deux jambes s'étendre de part et d'autre de son corps, ne puis-je m'empêcher de penser que, deux et deux faisant quatre... il est idéalement prédécoupé ?... ;-))
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Merci pour ce "pas à pas" extrêmement bien fait et tout à fait inscructif. J'en profite pour découvrir ton blog !