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Ça me démangeait depuis que j'avais vu, dans le dernier numéro de "Saveurs", une recette de coquelets en croûte de sel aux herbes. Je fantasmais sans arrêt là-dessus : comment ça se fait, de quoi ça a l'air, quel goût ça peut bien avoir un poulet en croûte de sel ? (Apparemment, ce serait un plat magique, spectaculaire et, à en croire les meilleurs spécialistes, tout à fait tendre et savoureux.)
L'autre soir, j'ai publié par erreur le brouillon de cet article. Pardon à ceux qui se sont dérangés pour quelques lignes inachevées. Aujourd'hui, c'est fait, je l'ai complété et terminé : euh, j'aime autant vous le dire, prenez vos RTT si vous vous intéressez au poulet en croûte de sel, là j'ai vraiment fait dans le détail !
C'est que le sujet vaut bien qu'on s'y attarde.
Achetons un poulet. Mais pas n'importe lequel : un bon, un labellisé.
(Je vous rassure, je veille aux dates de péremption : je ne l'ai pas mangé aujourd'hui 26 septembre, je l'ai fait cuire le dimanche 16.)
Le voici dans mon plat à poulet, avant l'apprêt :
Je le farcis de quelques bonnes choses : ail, échalotes, poivres noir et blanc, baies roses, thym et laurier. (Premier réflexe abandonné : pas de sel, faut quand même pas pousser !)
Selon les sites culinaires que j'ai consultés au sujet du poulet en croûte de sel, les quantités recommandées vont de 1.kg à... 7.kg de sel pour un seul poulet !
7 kg ? Pour faire cuire un Saint-Bernard, peut-être, mais pour un poulet ça me semble un poil exagéré. Coupons la poire en deux : j'en achète seulement 3 kg.
Là aussi, j'ai pris de la bonne qualité — tant qu'à tester, testons sérieusement :
Je verse les deux premiers sachets (soit 2 kg de sel) dans un saladier.
Et déjà là, à vue de nez, je vois que ça va déborder carrément de mon plat à poulet : disons alors qu'on va s'arrêter à 2.kg jusqu'à nouvel ordre.
J'ajoute dans le sel :
• quelques herbes sèches : un peu d'origan, un peu de sarriette (Jamie Oliver dit que ça empêche de péter, alors j'en ai acheté pour savoir si c'est vrai),
• et deux blancs d'oeuf (pour que le sel forme plus facilement une croûte et ne reste pas éparpillé, cela je l'ai appris de Maïté).
L'appareil photo était dans ma main droite, j'ai malencontreusement explosé le premier oeuf dans ma main gauche en tentant de séparer le blanc du jaune. Dans une déferlante de gros mots qui me font honte rien que d'y repenser, j'ai pu récupérer à peu près tout le jaune — et imaginez qu'en plus j'ai eu la présence d'esprit de prendre une photo de ma main raclant le jaune dans le saladier, vraiment réussie celle-là : à la place de mes doigts alertes et déliés, on peut admirer cinq boudins rougeauds couverts de cochonnerie jaune, une photo tellement moche que j'ai demandé dans mes dernières volontés qu'elle ne soit publiée qu'après ma mort.
Ayant terminé les ajouts, j'ai soigneusement touillé le sel avec les mains. C'était plutôt agréable.
J'ai tapissé mon plat de papier d'aluminium.
(En ce moment, je tapisse tous mes plats à four quand je fais cuire des trucs : aluminium ou papier sulfurisé, ça dépend de ce que je mets dans le plat, mais en tout cas ça allège agréablement les tâches de vaisselle !)
Je mets environ 1 cm d'épaisseur de mon mélange de sel sur le fond du plat, juste un petit trou pour vous montrer l'épaisseur :
On rebouche le trou et on dépose notre poulet sur la couche de sel :
Il n'y a plus qu'à verser le sel par-dessus, pour bien le recouvrir :
... et en essayant que ça fasse beau, car on pense déjà au moment magique où l'on entendra le "wouaaaahhh" de nos invités, pantois d'admiration devant le monticule :
Constatez que j'ai employé la totalité du sel :
Pile poil ce qu'il fallait.
Ce qui me permet de vous certifier que 2 kg de sel suffisent à enrober un poulet.
• Température ?
Selon les sites que j'ai consultés, nous avons un choix de 200 à 240 °C, voire 260 °C.
Ma préférence et une impression de relatif consensus me font choisir le 210 °C (th. 7). Comme ça, pas de cuisson trop torride ou aléatoire à redouter.
• Durée de cuisson ?
Les durées généralement indiquées vont de 1 h à 1 h 30, sans qu'on puisse discerner une corrélation aveuglante entre le temps de cuisson et le poids du poulet ou le réglage de la température du four.
Moi de toute façon, je préfère le laisser plutôt trop longtemps que pas assez : au moins 1 h 30, si ce n'est 1 h 45 (parce qu'on doit se sentir bien piteux en découvrant un poulet encore rouge à l'os après avoir solennellement fracassé une magnifique croûte de sel devant toute la tablée).
Un site donne cet avis, que personnellement je trouve sensé : pas besoin de surveillance, à l'odeur du poulet on sait que c'est cuit. Je n'ai pas retrouvé le site, c'est à se demander si je n'ai pas rêvé, mais ce conseil ajouté à une durée minimale programmée de 1 h 30 à 1 h 45, ça devrait nous mettre à l'abri de tout souci de cuisson à l'arrivée.
On en est à 1 h 45 de cuisson sans que j'aie eu le moindre poulet à retourner ni à arroser, bref, sans aucun soin à lui apporter (ça c'est plutôt cool).
Bon, là, le poulet est sûrement cuit. Je me demande quoi faire. Jacques n'est pas encore arrivé et il est 13 h 25 — mais c'est normal, vu que le dimanche, on déjeune à l'heure espagnole : no speed... slow food !
Je pense qu'il vaut mieux que je casse le poulet tout de suite, et que je le remette au chaud pour quand Jacquot arrivera. Imaginer une longue séance pour piocher notre bouffe dans le sel alors qu'on crève la dalle et que j'ai envie de prendre des photos, bof, ça ne me fait pas très envie. Surtout que j'ai entrepris de faire des frites en même temps, histoire de me simplifier la vie.
Ustensiles indispensables : un couteau pour casser la croûte, et un pinceau pour épousseter.
Je sors le plat du four. Ma foi, le sel a foncé et durci. C'est plutôt sympathique comme spectacle, je comprends qu'on ait envie de le servir directement à table, devant les convives.
Je tapote la croûte avec mon couteau.
Sans effet.
Je tape.
Rien de plus.
Je me mets à cogner — un peu en biais parce que je suis intelligente, je cherche la faille au lieu d'attaquer bêtement de front.
C'est bien cela ! Quelle puissance de jugement, ah je m'aime. Il fallait effectivement cogner, en mettant le couteau un peu de traviole. A force, on arrive à tracer une sorte de raie des fesses dans le sel :
Chouette, au bout de dix coups ça s'ouvre !
(Chaque fois que je tape, le sel explose dans tous les sens. J'en ai partout sur les pieds et je n'ose pas regarder les murs autour. On pourrait peut-être mettre un blanc d'oeuf supplémentaire pour que ça se tienne mieux.)
Pas mal, l'aspect. J'ai une bonne impression :
J'enlève les morceaux de sel, il y a de gros blocs mais aussi des tonnes de petits gravillons qui ne demandent qu'à sauter dans toute la cuisine.
C'est assez long et délicat, il faut être précautionneux. Et même comme cela, il faut accepter de dégueulasser toute la pièce :
Casser, puis ramasser. Casser, encore ramasser, et dire des gros mots :
J'ai carrément eu raison de ne pas attendre Jacques ! Si j'avais fait ce travail à table, on aurait déjeuné sur un tapis de sel, bu du vin salé, et j'aurais eu deux heures de ménage à faire ensuite pour nettoyer toutes les projections — vu que la taille de la pièce n'est pas la même que celle, fort modeste, de ma cuisine.
Bon c'est bien gentil mais maintenant il faut encore le découper. Quel bintz ! Côté boulot à faire au total, je commence à trouver ce mode de cuisson euh... limite rédhibitoire.
Où mettre tout ce gros tas de sel ? C'est que j'ai besoin du plat moi, pour mettre les morceaux de poulet.
J'ai peur de brûler mon sac poubelle avec la croûte encore très chaude alors je balance le paquet dans l'évier, on verra plus tard.
Encore une séance de brossage méticuleux :
Voici une photo pour ma soeur. Ma soeur adore le croupion : "Hééé ! Héééé ! Le croupion ! Le croupion ! Gardez-moi le croupion surtout !!!" est la seule et unique phrase que vous entendrez de ma soeur lorsqu'un poulet arrive sur la table.
Non pas qu'on le lui dispute, elle est certainement la seule à le revendiquer. Mais la pauvre, elle a peur qu'on le jette.
Pouark. Tiens ma chérie, regarde c'est pour toi !
(Les années passent mais je pense toujours aussi invariablement à ma petite soeur, chacun des dimanches où je jette un croupion de poulet à la poubelle.)
Allez, on attaque. La découpe du poulet, c'est un truc que je fais souvent, donc vite et bien.
La chair de la cuisse a l'air pas mal. Cuite et tendre comme il faut.
Pour le blanc, je trouve la chair inhabituellement blanche. Et mon petit doigt me dit qu'elle risque d'être un peu sèche.
Tant pis, on mettra plein de jus.
... C'est alors que je prends conscience d'une abominable vérité, que j'avais complètement escamotée depuis le début.
Horreur, malheur ! Je blêmis.
Ô rage, ô désespoir !!!... Mais y a pas de jus !!!!
Consternée, je découpe et j'observe.
La peau, d'aspect sec (sinon croustillant) au départ, se ramollit et s'humidifie. Moi qui adore la peau bien croustillante et grasse !... Je commence à réaliser que je viens de faire tout bonnement un poulet de régime : ni jus, ni peau craquante !!! Aïe.
Je mets la carcasse dessus pour que ça garde un minimum de moelleux et je remets le tout dans le four éteint mais encore chaud.
A 13:40, j'ai couvert d'un papier d'aluminium pour éviter le dessèchement.
Jusqu'à 13:48, j'ai rangé tout le bazar, nettoyé et balayé, épousseté les murs, récupéré les morceaux de sel qui avaient aspergé les trucs autour de l'évier :
A 13:58, Jacques est arrivé et m'a dit : "Oh dommage, c'est déjà fait ? Et moi, j'ai même pas vu la croûte !
— Plains-toi va ! J'aimerais bien pouvoir en dire autant."
J'ai pris des photos des différents morceaux (j'aurais pu retirer la bague sur l'aile au premier plan, mais j'avais ma dose de manipulation volaillère pour la journée, et à ce moment-là l'huile était mûre à point pour le second bain des frites) :
Impression visuelle de relative sécheresse du blanc, je maintiens :
Plutôt bonne impression pour la cuisse, mais la peau est quand même molle :
Confirmation post-dégustation : pour la cuisse, la chair est bien — quoique, en a convenu Jacques, légèrement moins tendre que d'habitude (quand le poulet est rôti normalement).
Pour le blanc, la chair est sèche (et le lendemain, froide et même avec de la mayo, c'était aussi agréable à manger qu'une écharpe en laine bouillie) :
L'absence de jus et de peau croustillante n'a gêné ni Camille ni Jacques, vu qu'ils n'en prennent jamais.
Moi je raffole des ailes et de la carcasse, j'aime tous les petits morceaux à grignoter... mais avec du jus, faut-il le répéter, bouhouh sniff... Ce jour-là, je ne me suis pas régalée, j'ai simplement eu de la reconnaissance à avoir été nourrie et je me suis rattrapée avec des frites et plein de mayonnaise.
Bilan pour ce qui me concerne : déception ! Mais on a tous été d'accord sur un point qui excitait ma curiosité à l'avance : la saveur du poulet est bonne et équilibrée, elle ne garde aucunement une empreinte trop salée.
Conclusion : si vous avez des gens que vous n'aimez pas, surtout invitez-les autour de ce poulet ! Vous apportez votre plat mirobolant à table, vous cassez la croûte de sel devant vos convives, vous êtes sûr d'en éborgner deux ou trois. Et en plus, le temps d'enlever les débris, d'épousseter le poulet et de le découper, ils mangeront bien froid.
Le dimanche suivant, pour bien être sûre, j'ai fait cuire un poulet selon mes goûts.
Encore un poulet de Loué, et j'ai mis le même type de petites choses à l'intérieur :
Sel et poivre sur la peau, puis huile d'olive et massage voluptueux.
Quelques gousses d'ail non épluchées, une feuille de laurier et un brin de thym autour, pour parfumer le jus. Et comme base de jus, une bonne rasade de vin blanc.
Je l'ai laissé cuire le même temps et à la même température que son cousin du week-end précédent (1 h 45 de cuisson à 210 °C).
Seule contrainte, mais franchement pas usante : je le retourne tous les quarts d'heure, sur les quatre faces.
Au bout d'une heure environ, j'ajoute un peu d'eau dans le fond du plat et je remets quelques grains de sel et de poivre :
Allez hop ! Vite sorti, vite découpé !
Les ailes sont bien croustillantes, youpi !
Et avouez que rien que de voir ce jus... mmm...
Cela sent tellement bon !
En le découpant, je ne peux pas m'empêcher de chiper un sot-l'y-laisse :
Tellement tendre !... La texture n'a rien, mais vraiment RIEN à voir avec celui du poulet en croûte de sel.
Une bouchée si onctueuse... Et trempée dans ce délicieux jus parfumé... Mais que demande le peuple !
J'ai voulu laisser l'autre sot-l'y-laisse pour Jacques mais celui-ci m'a pourtant communiqué à table un fait surprenant : "C'est dingue, ils n'ont plus jamais de sot-l'y-laisse, tes poulets ! Comment ça se fait ?
— Je l'ai remarqué aussi, figure-toi. Peut-être un changement dans le mode d'élevage, en tout cas je te promets de demander à M. Loué de s'en justifier, nous avons le droit de savoir ce qu'il en est."
Voyez ce petit jus que je reverse dans le plat. On sent que le poulet est tendre et gorgé d'humidité et de parfum :
Je l'ai remis au four éteint. D'expérience, je peux vous affirmer qu'il pourrait y séjourner une heure sans rien perdre de son moelleux :
J'avais la flemme de faire des frites, j'ai commandé des potatoes et des frites chez je ne sais plus qui :
Jacques s'est extasié : "La vache, tu sais faire ces trucs-là !!!"
— Bien sûr ! ai-je répondu.
Après il a attaqué les frites :
— Putain, c'est quoi ces frites, elles sont dégueulasses !
— Ah désolée, j'étais occupée à réussir mes potatoes pour toi mon chéri, donc ces frites ne sont malheureusement pas de moi.
(Ma devise : une vérité rattrape toujours un mensonge.)
D'autant que je ne les ai pas trouvées si dégueulasses que ça.
Et si pratiques ! Il suffit de les mettre dans un plat et de les laisser au chaud avec le poulet.
(J'aime pas ce qui dépasse, vous voilà prévenus.)
Conclusions de la comparaison : sans appel !
1) Ici, quasiment rien à faire, ni rien à salir. No stress.
2) Le tout attend au four, électricité coupée, sauf la lumière. Ça peut attendre oh... peut-être pas des heures mais presque.
Et que voulez-vous, jamais un poulet en croûte de sel ne vous offrira une mise en appétit aussi délicieusement torturante :
... ni ces lacs d'or pur :
Non seulement ce jus sera sublime avec le poulet, mais il sera également sublime pour réchauffer, le soir ou le lendemain soir, les restes de poulet découpés en petits morceaux. Manger ces petits morceaux juteux avec de délicieuses pâtes et un bon assaisonnement, malheur !
Pour ceux qui aiment : l'ail onctueux confit au jus. Pas mal non plus...
Voilà, je crois que j'ai tout dit !
En résumé, si vous êtes au régime et aimez les tracas domestiques, allez-y sans hésiter sur le poulet en croûte de sel.
A l'inverse, préférez peut-être ne pas y aller, si vous aimez autant que moi cette promesse dorée et parfumée...
... Promesse envoûtante de régal des sens.
(... Et promesse tenue !!!)
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J'adore le jus avec le poulet, alors tant pis pour la croute de sel......... Mais surtout, t'as pas tout dit.... Jamie avait il raison? (la sarriette?!)