Thèmes cliquables : oeuf mollet - oeuf poché - oeuf - cuisine au four - This (Hervé) - oeuf dur
Il règne dans tout l'appartement, au moment où je vous parle, une terrible odeur d'oeuf.
C'est à cause de mon dernier test sur l'oeuf à 65 °C... J'ai fait 5 ou 6 essais au total. Histoire d'être bien sûre, et de vérifier diverses variantes.
Cela fait environ deux ans que je lis, entends et regarde Hervé This expliquer le principe de cette étrange cuisson de l'oeuf. Résumons-la ainsi : laissez un oeuf "confire" au four à 65°C pendant une ou deux heures, et vous récolterez un oeuf cuit, chaud et particulièrement onctueux.
Tout simplement à cause de cette loi physico-chimique : la coagulation de l'oeuf intervient à 62 °C pour le blanc, 68 °C pour le jaune.
A des températures supérieures, l'oeuf durcit vraiment. Mais tant que vous le maintenez à 65 °C, il est "pris" sans pouvoir durcir vraiment.
Pierre Gagnaire décrit et met en recettes l'oeuf à 65 °C.
Je vous montre tout de suite comment on procède, ce sera plus clair en images.
Tout se trouve dans l'excellent article de Vincent Olivier dans l'Express, que j'ai lu maintes fois depuis qu'il est disponible sur Internet (06/2005) et qui permet de comprendre vraiment ce qui s'échange entre Pierre Gagnaire et Hervé This.
Et surtout, qui est très éclairant sur le travail d'Hervé This.
Voici ce qu'il dit sur l'oeuf à 65 °C. C'est tout simplement la lecture de cet article qui m'a donné envie de faire ce test :
Avec une telle approche rationnelle, Hervé This découvre pourquoi, et surtout comment, des phénomènes chimiques simples se produisent. Il a ainsi déterminé que, pour obtenir un œuf coque idéal, il faut le cuire… une heure à 65 °C! Le blanc se solidifie en effet à partir de 62 °C, tandis que le jaune durcit après 68 °C. Autrement dit, en plongeant un œuf dans l'eau bouillante, on risque d'obtenir un jaune verdâtre sur les bords et un blanc figé, voire caoutchouteux. Tandis qu'à 65 °C, le premier sortira quasi cru et goûteux et le second soyeux et moelleux.
OK, je rêve d'entamer une ère de l'oeuf nouveau, j'en mets deux dans mon four réglé sur 65 °C :
Une heure et demie plus tard, je reviens.
Je sors l'oeuf du four à la main. Il est chaud-chaud-chaud, mais d'une chaleur supportable : pas de quoi se brûler l'épiderme.
Je décalotte l'oeuf (quel verbe horrible) avec le petit ustensile rond à dents mobiles que tout le monde utilise pour les oeufs à la coque. Et voici ce que je découvre :
Mmmm... Bon, pour l'instant, je ne sais pas vraiment si ça m'inspire. Et je voudrais surtout voir le jaune.
Le jaune est là en dessous, bien luisant.
Il résiste sous la cuiller, il n'est pas mou à l'extrême comme je m'y attendais. Et encore moins liquide :
J'ai mangé le blanc. Bof, je ne raffole pas de la consistance : uniformément molle, flasque et fuyante. Ça me dégoûte un peu.
Là, je me fais une réflexion intéressante : quel que soit le degré de cuisson des oeufs à la coque (même peu cuit), je n'ai jamais éprouvé aucun dégoût ni pour le blanc liquide, ni pour le blanc intermédiaire (comme il est ici), ni pour le blanc cuit. Parce que toutes les textures me plaisent, à mesure que je vais de l'extérieur vers le centre. Or, ici, il faut observer que l'intégralité du blanc est d'une consistance identique, parfaitement homogène : une consistance ni liquide ni dure, qui ne varie pas d'un iota à mesure qu'on mange le blanc.
Je crois bien que c'est cela qui me dégoûte. Réticence spontanée issue d'une longue imprégnation culturelle. C'est imprimé dans mes nerfs, dans mes papilles et dans ma tête : pour moi, selon la logique la plus archaïque de la cuisson par le feu, un oeuf à la coque normal (c'est-à-dire cuit dans l'eau bouillante) donne lieu à une dégustation du plus cuit au presque cru à mesure qu'on avance vers le centre.
Alors qu'ici, paradoxalement, même si on a cuit l'oeuf dans un four traditionnel, le résultat n'évoque pas cette cuisson mais un truc moléculaire bizarre. C'est-à-dire que la cuisson se répartit partout, selon un mode artificiel qui échappe aux lois de la conduction thermique "normale" : par conséquent, on ne sait pas à quoi s'attendre selon l'endroit du plat où l'on prélève une bouchée. Moi cela me déroute, je n'ai pas intégré sensoriellement cette logique.
Mais revenons à nos moutons.
Consistance très spéciale. Je le coupe pour vous faire voir :
Pour le second, je procède à une extraction souple :
C'est joli !
Dommage que la cuiller soit dégueu à cause du premier oeuf.
Tenez, je vais pouvoir vous montrer encore mieux sur le jaune entier :
C'est tout souple et onctueux :
Ça s'étale très bien, sans couler :
Scrutons d'encore plus près :
C'est vrai que c'est une consistance inconnue jusqu'à présent pour moi. Tout comme le blanc, le jaune est totalement homogène pour ce qui est de la consistance.
J'ai mangé le petit agglomérat de jaune collé ci-dessous à la cuiller.
Bof bof ! Pas convaincant du tout, le goût (enfin, à mon goût, du moins). On ne retrouve absolument pas la saveur du jaune liquide de l'oeuf à la coque. Ni celle du jaune d'oeuf dur, ni celle d'aucun jaune connu. La saveur est très faible en intensité, je dirais presque éteinte.
Je trouve un peu bête d'augmenter mon taux de cholestérol pour gagner si peu de plaisir (... et même, si peu que pas, à vrai dire).
Autre essai : peut-on écaler ces oeufs comme on le fait avec des oeufs durs ou mollets ?
Ouille, c'est mou.
Et floc :
Pierre Gagnaire trouve cela inspirant, à en croire les recettes qu'il a publiées sur son site. Soit, je ne chercherai pas à contrarier un génie.
Ah, ça y est, j'ai retrouvé des photos qui montrent exactement ce qui me dégoûte, et exactement les textures que l'on obtient :
Signalons la grande régularité des résultats que donne un four à 65 ° C, quelle que soit la durée de la cuisson ! Qu'on laisse l'oeuf seulement une heure ou qu'on le laisse trois heures, on obtiendra ceci :
Euh, quoique, là... au bout de 3 ou 4 heures :
Beurk, ce blanc...
Ci-dessous, on voit que cela peut être assez beau. Mais pfff, quand même, je ne trouve pas ça très bon.
Dernier essai. Tentons de trouver une solution de démoulage, essayons de composer avec cette texture hybride :
Le déverser sur une assiette en essayant de préserver sa forme, peut-être ?
Ça voudrait bien venir, mais ça ne vient pas.
Aidons un peu :
Accouchons !
Alors là c'est décidé : j'utiliserai les photos qui suivent pour me couper l'appétit au cours de mon nouveau régime (un régime de printemps plein de promesses, tout fraîchement entamé de ce matin) !
Le germe aurait pu produire un petit poussin. Mmmm... mignon, non ?
Ça me coupe vraiment l'appétit, dites !... Génial.
Bon allons, soyons justes. Je vais présenter les choses plus joliment.
Oublions donc ceci...
... et ceci...
... pour une image propre et belle :
Pour compléter vos infos sur Hervé This :
Très bonne interview-chat d'Hervé This, organisée et publiée par www.linternaute.com.
Maintenant passons à l'application dérivée. Autrement intéressante à mes yeux, et j'en remercie sincèrement Hervé This : sans lui, je n'en aurais pas eu l'idée.
J'adore les oeufs pochés et les oeufs mollets.
J'aimerais beaucoup en faire pour les amateurs lorsque je reçois, mais je refuse de passer vingt minutes seule dans la cuisine pendant que les autres finissent d'apéroter sans moi.
Regardez-moi ce bel oeuf mollet, avouez que c'est quelque chose, ça ! Entre un oeuf d'Hervé This et un oeuf mollet de Caroline, vous hésiteriez, vous ?
Voilà comment j'aime le jaune :
Les gens ne reçoivent pas avec des oeufs mollets ou des oeufs pochés, ça prend trop de temps, c'est trop délicat à réaliser.
Une exception m'a marquée : une amie, Elizabeth, nous a préparé un soir de somptueux oeufs en meurette. Des oeufs en meurette comme cela, je n'en avais jamais mangé. Un régal absolu, vraiment remarquable.
Seul hic : pour nous en régaler, nous avons dû nous priver de la présence d'Elizabeth pendant 20 minutes au moins.
D'où je retiens qu'en général, on mange plutôt ceci chez soi ou au restaurant :
Quel dommage, non ?
D'autant que c'est idiot de s'en priver ! Car on peut parfaitement mettre les oeufs mollets au menu des copains, et en toute quiétude.
Il suffit de reprendre le truc d'Hervé This en le diminuant de 5 degrés.
Portons la température du four à 60 °C, et plaçons-y un ou plusieurs oeufs préalablement cuits dans une eau bien frémissante : 5 mn et demie si vous les voulez mollets, 3 mn à 3 mn et demie si vous les préférez pochés.
• Version mollets :
Rafraîchissement dans l'eau froide pour stopper la cuisson :
Ecalage, au bout d'une heure et demie passée dans le four à 60 °C :
Et on le dépose tout chaud sur un toast :
Le jaune est parfait, alors que l'oeuf a séjourné une heure et demie au four à 60 °C (après refroidissement mais avant d'être écalé, reprécisons bien ce point) :
Quand j'ai faim et que je suis seule, je présente mes plats... euh, sans chichis particuliers :
L'oeuf mollet, sur une salade, c'est pas mal non plus :
• Version pochés maintenant :
Là, ils ne sont pas protégés par la coquille tandis qu'on les garde au chaud :
Une heure plus tard, le jaune semble être resté bien mou :
Vérifions ?
Yeeessssss !
Allez, dernier essai, pour le jour où on sera douze à table (= quand j'aurai déménagé, donc).
En fait, le vrai essai concluant est là : car le vrai plus de ce procédé, c'est la tranquillité. Celle que vous ressentirez à avoir écalé tous vos oeufs avant l'arrivée de vos convives, les avoir mis au four et savoir que vous pouvez les y laisser aussi longtemps que nécessaire avant qu'il soit l'heure de les servir.
Alors la vraie question est : vos oeufs écalés seront-ils toujours aussi délicieux — et le jaune aussi liquide — au bout de deux heures d'attente, voire plus ?
Ma foi...
... Youpi !!!
Seule précaution à prendre : les hydrater ! Plongez-les dans un bain d'eau pour leur éviter de se dessécher en surface.
Regardez notamment celui-ci, que j'ai laissé au four dans un demi-centimètre d'eau, croyant que ce serait suffisant pour humidifier l'atmosphère du four :
Une fois retourné, il a l'aspect voulu :
Mais reconnaissons qu'il n'a cet aspect que sur une seule face. Et quand c'est desséché comme cela, c'est irrattrapable.
Cela dit, le blanc un peu desséché a une texture amusante, on peut le découper aux ciseaux :
Et on soulève : pour constater que le jaune, en tout cas, est resté absolument parfait ! Vive les 60 °C !
Je l'ai mangé au soleil et je me suis absolument régalée.
Récapitulatif pour un bon maintien au chaud pour vos oeufs mollets (écalés) ou vos oeufs pochés : il suffit de plonger entièrement vos oeufs dans un plat rempli d'eau à 40 ou 50 °C – ainsi, pas de risque de surchauffe au départ – puis de les mettre dans un four réglé à 60.°C pour qu'ils restent chauds sans se dessécher ! Ce qui permet, au moment de les servir, de ne plus rien avoir à faire d'autre que de déposer nos oeufs tout nus et tout chauds sur du papier absorbant...
NB - Les fours peuvent varier légèrement : faites un essai préalable pour trouver les vrais 60.°C de votre four avant de vous lancer dans le grand bain avec 40 copains.!
Maintenant, ce qui est sûr, c'est que désormais douze — ou même quarante — oeufs mollets pour un dîner, ça ne me fait pas peur ! Si j'attends mes invités vers 20.h.45 ou 21.h :
• 19 h 30 : je mets mes oeufs à cuire tranquillo dans l'eau modérément bouillante.
• 19 h 35 minutes et 30 secondes : je les sors pour les plonger dans l'eau froide.
• 20 h : je les écale et je les mets tout simplement dans l'eau chaude (à la température de votre bain, approximativement 40.°C) au four chauffé à 60.°C.
... Et je les y oublie.
Voilà tout ! Et enfin, quand j'en ai besoin, disons vers 21 h 45 ou 22 h, je les sors, je les sèche une seconde sur un torchon et je n'ai plus qu'à les servir, tout chauds — avec n'importe quoi : de la salade et des croûtons, une belle sauce bourguignonne, etc.
Mmm... là, si c'était pour maintenant, j'en aurais bien envie avec du pain frais, du fromage, une petite salade et un verre de vin. Aïe aïe aïe, mon régime ! ;-)
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Salut,
T'es sûre de l'exactitude de ton four ? Au vu de tes résultats, je me demande si il ne chauffe pas plus que les 65°C indiqués. En effet, j'ai un peu pratiqué cette technique avec un bain marie thermostaté à 65°, et j'obtenais des résultats plus onctueux.
Par contre, c'est vrai qu'avec ces cuissons "basse température" on perd le gradient de cuisson, qui est l'un des charmes de la cuisine.
Tu as essayé plusieurs heures à moins de 65° sans précuisson ?
Xavier