Aujourd'hui, j'ai été plutôt mal lunée. Mon boulot n'avance pas et je me sens d'humeur grrrr, légèrement contrariée. J'ai repensé à un questionnement grotesque qui m'a occupée récemment une bonne partie de la nuit.
Souvent, Camille me demande une promenade au cimetière du Montparnasse. Pendant longtemps, j'ai poliment décliné (répugnance personnelle) et la laissais y aller avec Jacques, mais la voir si joyeuse au retour et si peu tristement impressionnée m'a fait changer peu à peu.
Je suis apprivoisée depuis environ deux ans, et j'aime ces promenades douces et sereines depuis environ un an.
La première tombe que j'ai remarquée le premier jour, c'est celle de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir.
"Quoi.!!! Ils partagent la même tombe.!" me suis-je dit, interloquée.
Tenez, je ne vous mens pas.:
Sachant le prix qu'ils attachaient à leur indépendance de leur vivant (ce qui les conduisait notamment à avoir chacun son toit), j'ai été vraiment sidérée de les voir réunis si humblement sous la même dalle.
L'autre jour, je me suis réveillée vers 3.heures et jusqu'à environ 6.heures du mat je me suis demandé qui était enterré dessous, et qui dessus. Elle ou lui.? Lui ou elle.?
J'ai longuement réfléchi au problème. Je l'ai retourné dans tous les sens, en essayant de l'évaluer équitablement, au regard de la bienséance, de la transcendance, des questions administratives et familiales, des préférences de chacun, de la gravité et de la matière, bref, au regard de plein de choses.
J'ai pensé à la vie de Sartre, j'ai pensé à la vie de Beauvoir, et je me suis interrogée sur la conclusion qu'il importait d'en tirer quant à leur degré d'inhumation. First or second ?
Je me suis demandé ce que chacun aurait préféré, d'ailleurs. S'ils en avaient parlé ensemble, ou autour d'eux. S'ils y avaient pensé de leur vivant. Ou s'ils trouvaient éventuellement que ça n'avait aucune importance.
J'ai conclu au terme de cette longue réflexion que c'était sans doute elle qui était au-dessus. Allez savoir pourquoi.
Discussion assez récente avec Roland sur les préférences sexuelles, et ne voilà-t-il pas qu'il me dit.: "De toute façon, 9.femmes sur 10 préfèrent être au-dessus."
Moi : "Ah bon ? Et comment tu sais ça, toi.?"
(... histoire de savoir s'il concluait à partir d'un échantillon de 30 ou de 900... Bon, je n'ai pas su précisément mais j'ai ma petite idée ;-))
Bref, je retourne au cimetière quelque temps après, et devant la tombe de nos deux intellectuels préférés je suis foudroyée par une évidence : bien sûr qu'elle est au-dessus.!... pour la bonne raison qu'elle est morte en 1986, et lui en 1980. Oh là là, certains jours c'est à se demander si j'ai une cervelle.
Quand je pense aux heures d'ébullition que je leur ai consacrées... Pffff, tout ça pour ça.!
Je ne sais pas en quels termes était le couple Ionesco mais force est de constater qu'elle est au-dessus, elle aussi, puisqu'elle lui a survécu dix bonnes années.:
Epoustouflant, cette découverte. Je regarde un peu autour de moi et je vois des quantités de tombes avec la femme au-dessus. Je ne peux m'empêcher de penser à leur tristesse (pour celles dont le mari était charmant).
Mais surtout, je m'interroge toujours sur ceci.:
Ça se trouve uniquement, d'après ce que j'ai constaté, sur les tombes juives.
La disposition apparemment n'a pas d'importance. Ou plus exactement, elle a peut-être un sens mais elle est très variable. Pour l'instant, je n'arrive pas à décrypter le sens, s'il y en a un.
Parfois, il y a des coquillages aussi.
Rien d'autre, me semble-t-il.: je ne me souviens pas de morceaux de bois, ou de pièces, de morceaux de verre ou de tout ce qu'on pourrait imaginer. Rien que des cailloux et/ou des coquillages.
Qu'est-ce que ça signifie.?
J'aime bien. Je trouve ça très émouvant. Plus émouvant que des fleurs.
J'ai parfois eu envie d'en déposer un ou deux sur une tombe qui me touchait particulièrement mais je n'oserais pas me le permettre.
Alors je dépose juste un baiser en pensée sur la tombe de tous nos chers enterrés de Montparnasse.
Une pensée à Jean-Paul, à Simone et à tous ceux qui sont là. Je ne trouve pas ça facile mais je pense que c'est bien pour moi de me réconcilier avec ce monde-là. Je le souhaite à tout le monde, pas seulement à moi. Ce n'est pas si laid et effrayant qu'on croit. C'est même tendre et beau, si l'on y vient sans prévention, sans cette peur de la mort qui peut être si envahissante.
Billet plus prosaïque demain, très probablement. Frites ou escargots, un truc comme ça, si ça vous convient ? ;-)
... et à la fois plein d'humour et de tendresse. C'est un charmant billet que voilà ;-)
Pour avoir été comme toi, je crois comprendre ce que tu ressentais, cette peur. La mort de mon grand-père il y a 3 ans m'a réconciliée avec les cimetières, m'a peut-être aussi aidé à admettre la mort (si tant est qu'elle puisse être "naturelle" ou faire partie du cycle de la vie...).
J'aime beaucoup ton billet. Mais tu ne sauras pas si je préfère être dessus :-)